Traduction de Michel Arnauld.
PRESENT, Sigisbert Clément, 8 mai 2020 : Relire Buzzati pour garder le bastion
Le thème de l’attente de l’Evénement avec un grand E est bien connu des patriotes de tous poils. Les uns attendent le grand soir pour régler le sort des traîtres, les autres la parousie pour obtenir enfin le jugement des mauvais. Les indépendants préparent le collapse en améliorant leur bunker et les prosaïques attendent l’apéro pour refaire le monde au zinc. Les grands écrivains se sont aussi frottés à ce sujet en réalité complexe. Des contemporains l’ont adapté à leur sauce en méditant plutôt sur la fuite. Je pense à Raspail ou Tesson.
Mais Dino Buzzati, lui, n’a pas fui. Il est resté à la frontière du Nord. Et son grand roman peut être une lecture d’actualité plus plaisante que La Peste de Camus dont il paraît que les ventes connaissent une hausse spectaculaire sans doute comparable au phénomène enregistré par Paris est une fête d’Ernest Hemingway après les attentats terroristes de novembre 2015 ou par Notre-Dame de Paris de Victor Hugo après l’incendie de la cathédrale en avril 2019. Troisième roman, paru en 1940, de cet auteur italien, un des maîtres du fantastique moderne, Le Désert des Tartares sera adapté au cinéma en 1977 par Valerio Zurlini.
Le lieutenant Drogo, héros de Buzzati, envoyé à la forteresse de Bastiano, attend l’événement qui n’arrive pas : l’attaque de ceux du Nord. De-ci de-là, quelques signaux inquiétants mais toujours vains et isolés. Ce n’est pas un virus qui l’empoisonne mais une attente qui l’habite et le dompte peu à peu. Drogo perçoit lentement que la réalité extérieure ne compte pas, que seuls comptent les pensées, les angoisses, les étonnements qui transfigurent la réalité pour la projeter sur l’énigmatique écran de l’âme. Ce si vaste espace où le voyage est infini car transformant l’inaction en méditation. Cet ancien lieutenant, tel un Charles de Foucauld, gaspillait sa vie en fêtes et plaisirs avant de rejoindre ce poste frontière et de s’en faire un destin. « De jour en jour, Drogo sentait augmenter cette mystérieuse désagrégation, et en vain cherchait-il à s’y opposer. Dans la vie uniforme du fort, les points de repère lui faisaient défaut […].
Il y avait aussi cet espoir secret pour lequel Drogo gaspillait la meilleure part de sa vie. » A défaut d’être habitée par l’espérance, l’œuvre de Buzzati et plus particulièrement ses nouvelles nous font toujours sortir d’une forme de désespérance par la satire, la pitié ou la beauté. Dans son roman Mystères à l’italienne, il estime d’ailleurs que « le progrès industriel ne peut dessécher la poésie, cette consolation de l’homme ; de même ne peut-il éli- miner la véritable pitié ». C’est aussi là ce qui fait la beauté de son oeuvre. Il nous reste à transformer notre attente en une méditation contemplative pour l’action. Une capacité que l’on croit réservée aux élites. Qu’il ne tient qu’à nous de rejoindre… à la frontière sud cette fois ?
Heureux d'échapper à la monotonie de son académie militaire, le lieutenant Drogo apprend avec joie son affectation au fort Bastiani, une citadelle sombre et silencieuse, gardienne inutile d'une frontière morte. Au-delà de ses murailles, s'étend un désert de pierres et de terres desséchées, le désert des Tartares.
A quoi sert donc cette garnison immobile aux aguets d'un ennemi qui ne se montre jamais ? Les Tartares attaqueront-ils un jour ? Drogo s'installe alors dans une attente indéfinie, triste et oppressante. Mais rien ne se passe, l'espérance faiblit, l'horizon reste vide. Au fil des jours, qui tous se ressemblent, Drogo entrevoit peu à peu la terrible vérité de fort Bastiani.
Fiche technique
- Reliure
- Broché
- Parution
- 2007
- Nombre de pages
- 268
- Hauteur
- 18
- Largeur
- 11.5
- Épaisseur
- 1
- Poids
- 0.135 Kg
- ISBN
- 9782266149846