François Mayle
Smolensk - La cité du malheur russe
Campagne de Russie 1812 - Front de l'Est 1941-19445 - Guerre d'Ukraine 2022
MEDIAS PRESSE INFO, janvier 2023 :
François Malye, grand reporter au Point, est aussi historien et dirige la collection « Mémoires de Guerre » aux Belles Lettres. Il signe chez Perrin un ouvrage surprenant dédié à la ville de Smolensk. Surprenant quant à la forme, puisque ce livre est quasiment un carnet de voyage qui, à travers de multiples flashbacks, nous retrace avec moult détails les principales invasions subies par la ville de Smolensk à travers son histoire. Surprenant aussi précisément par toutes les anecdotes fournies par l’auteur au sujet de ces invasions. Si François Malye s’est rendu pour la première fois à Smolensk en mai 2019, c’est pour y faire un reportage consacré à la guerre livrée par les Russes contre Napoléon en 1812. La raison de ce reportage est l’envoi en Russie d’une équipe d’archéologues français chargés de travailler avec des homologues russes à découvrir la tombe du général Gudin, héros de l’Empire, mort et enterré à Smolensk. A partir de là, c’est l’histoire des malheurs de la ville de Smolensk qui défile.
La Grande Armée de Napoléon comptait 650.000 hommes, dont 350.000 Français, au départ de l’expédition de ce qui a été surnommé l’armée des vingt nations. Mais cette armée se dégarnit au fur et à mesure de son avancée. Ils ne sont plus que 423.000 à passer le fleuve Niémen et seulement 235.000 à arriver à Vitebsk. Des pertes invraisemblables sans même encore s’être battu ! Durant son voyage, Napoléon lit l’Histoire de Charles XII, roi de Suède écrite par Voltaire qui retrace notamment les campagnes de ce roi conquérant en Pologne et en Russie. L’échec de Charles XII en Russie chiffonne Napoléon. Mais l’Empereur est persuadé de pouvoir réussir là où son prédécesseur a échoué. Hitler étudiera ensuite l’odyssée de Napoléon, se persuadant à son tour qu’il y parviendrait, lui. Pour prendre Moscou, il faut d’abord s’emparer de Smolensk. C’est « le boulevard de l’Empire russe » sur lequel vont s’engouffrer les troupes impériales et cent trente années plus tard l’armée allemande. Au milieu de la multitude d’anecdotes qu’il raconte, l’auteur rappelle que l’écrivain Stendhal a passé quatre mois dans l’enfer russe avec l’armée impériale.
En 1941, ce sont trois millions de soldats allemands qui déferlent sur la Russie, flanqués de 700.000 alliés. L’une des cibles prioritaires des troupes de l’Axe afin de prendre Moscou sera, bien sûr, la vieille cité de Smolensk. Le succès initial des Allemands réside en grande partie dans l’effet de surprise et l’avancée éclair, la fameuse Blitzkrieg. Il faut aussi préciser que l’armée rouge est mal en point en 1941, encore sous les effets des grandes purges staliniennes menées de 1937 à 1938, au cours desquelles 506 officiers généraux soviétiques ont trouvé la mort sous la torture ou sous les balles du NKVD. Le jour même de la prise de Smolensk par l’armée allemande, Yakov Djougachvili, 34 ans, fils de Staline, est capturé parmi des milliers d’autres soldats soviétiques. L’armée allemande tentera plus tard de l’échanger contre le Maréchal von Paulus capturé par les Soviétiques à Stalingrad, ce que Staline refusera.
Tant devant l’avancée sur le sol russe de l’armée de Napoléon que devant celle d’Hitler, la Russie appliquera la terre brûlée. En butant sur la résistance acharnée de la ville de Smolensk et de sa région, l’offensive allemande n’a pas atteint son but premier, qui était de détruire l’Armée rouge à l’ouest du Dniepr. Exactement comme Napoléon voulait le faire avec l’armée du Tsar. La victoire sanglante de Smolensk signifie ainsi l’échec de l’opération Barbarossa. La Blitzkrieg s’est épuisée et Moscou ne sera pas prise, les Soviétiques ayant eu le temps d’organiser sa défense.
On notera également que c’est à vingt kilomètres de Smolensk que se situe le forêt de Katyn où 4.404 officiers polonais furent assassinés par le NKVD au printemps 1940. Soixante-dix ans plus tard, le 10 avril 2010, c’est à quelques kilomètres de là, aux abords des pistes de l’aéroport militaire de Smolensk, que s’écrasera l’avion transportant Lech Kaczynski, président de Pologne, ainsi que 87 membres de son gouvernement et de l’élite du pays.
Aujourd’hui encore, les Smoléniens conservent en mémoire trois principaux ennemis : les Polonais, les Français et les Allemands. Il faut s’en souvenir dans le contexte de la guerre qui se joue en Ukraine et à laquelle se mêlent ces trois nations que les Russes perçoivent avec la mémoire des conflits précédents.
La Russie d'hier, d'aujourd'hui et de toujours racontée à travers sa ville emblématique.
Peu de villes ont autant souffert que Smolensk, incendiée lors de sa conquête par les troupes napoléoniennes, martyrisée par les nazis. Le nom de cette " Ville héros ", l'une des plus vieilles cités de Russie qui commande la route des grandes invasions venues de l'Ouest, résonne sans cesse dans l'histoire du pays.
Stendhal y écrivit ses plus belles pages sur la " déplorable catastrophe " que fut l'invasion de la Russie par la Grande Armée. Patrie de Mikhaïl Glinka et de Youri Gagarine, Smolensk fut également l'un des laboratoires du bolchevisme et de la répression stalinienne. Les victimes de ses tueries de masse sont ensevelies à quelques kilomètres, dans la forêt de Katyn où les bourreaux du NKVD, la police politique soviétique, massacrèrent 4 400 officiers polonais au printemps 1940.
Soixante-dix ans plus tard, en 2010, l'avion présidentiel polonais avec la délégation venue leur rendre hommage se crashait non loin de son aéroport là où, en 1943, Hitler aurait dû mourir si la bombe placée dans son avion avait explosé. Toujours immortelle derrière sa ceinture de remparts, parsemée des clochers baroques de ses nombreuses églises, Smolensk illustre aussi l'obsession des Russes pour la " Grande Guerre patriotique ", portée à son paroxysme par Vladimir Poutine.
Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et de ses 27 millions de morts est devenu la matrice de celle qu'il a déclenchée en Ukraine. Conjuguant avec maestria récit historique et grand reportage, passé et présent, François Malye entraîne le lecteur par ce texte enlevé, nerveux, riche en anecdotes qui croise l'héritage des grands mémorialistes du Premier Empire avec un récit personnel qui n'est pas sans évoquer la prose de Jean-Paul Kauffmann.