Famille chrétienne 29 février 2016 - Charles-Henri d'Andigné :
La part de l’ange ? C’est le petit volume d’alcool qui s’évapore durant son vieillissement en fût. L’expression désigne aussi la part de l’oreiller laissée vide pour accueillir l’ange qui veillera sur le sommeil de l’enfant. Ou l’offrande laissée aux dieux dans les sociétés anciennes… Toute cette poésie a disparu sous le rouleau compresseur de la vie contemporaine, constate Jean Clair. À travers ses souvenirs d’enfance, l’écrivain ne cache pas une certaine mélancolie, même si son journal est moins « atrabilaire » qu’autrefois.
Homme de la campagne, il regrette les haies qui délimitaient les territoires et protégeaient des inondations. Homme de culture, il voit avec effroi les ordinateurs envahir notre quotidien et remplacer les livres : « Ce qu’on appelle avec orgueil la révolution électronique n’est en réalité que le dernier épisode de la longue histoire de la destruction des bibliothèques. » Homme de goût, il observe avec inquiétude les tatouages qui recouvrent les corps de « traits agressifs, de compositions grossières […] un bestiaire infantile et diabolique, des monstres de science-fiction ». Amoureux et grand spécialiste de la peinture, il regarde avec un étonnement mêlé d’ironie les toiles « toujours abstraites » qu’accrochent les importants dans leur bureau.
La critique, malgré tout, cède souvent le pas à l’admiration, et à l’émotion. Celle-ci perce – discrètement – quand il évoque son instituteur, « le Maître », qui convainquit ses parents, modestes paysans, de l’envoyer au lycée ; ou sa mère, qui parlait peu, comme pour rester à sa place, et écoutait religieusement la musique, qui la transportait littéralement.
Un charme étrange se dégage de ce livre touchant et méditatif. À déguster lentement, comme une vieille eau-de-vie.
Pour la première fois, Jean Clair donne comme sous-titre à son texte Journal 2012-2015, comme s'il reconnaissait que ses écrits littéraires parus chez Gallimard, depuis le Court traité des sensations en 2002, étaient les pans d'une même œuvre, fascinante à plus d'un titre, qui le met au niveau des grands diaristes, et dont La part de l'ange est le nouveau volume après Dialogue avec les morts en 2011 et Les derniers jours en 2013.
Jean Clair revient sur de nombreux thèmes abordés dans ces textes, comme l'enfance de l'auteur, petit-fils de paysans, fils d'ouvriers, son apprentissage du langage, sa profonde mélancolie touchant au désespoir quand il fait le constat de la déliquescence d'une société où le mot culture a perdu son sens. Puis écrit des merveilles sur les animaux familiers, sur la représentation du visage ou son impossibilité...
Et comme toujours des pages admirables sur les mots, leur origine, les mondes disparus qu'ils évoquent. C'est avant tout un hommage à la langue, au "mot juste", et bien que Jean Clair adopte volontiers la pose de celui qui ne comprend plus son époque, combien de fois le lecteur n'est-il pas étonné de sa pertinence. La part de l'ange, c'est la part volatile d'un alcool qui a vieilli en fût. C'est aussi, le rappelle Jean Clair, la petite place ménagée sur l'oreiller où l'ange qui veille sur les enfants vient reposer auprès d'eux.
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Fiche technique
- Reliure
- Broché
- Parution
- 2016
- Nombre de pages ou Durée
- 420
- Hauteur
- 20.5
- Largeur
- 14
- ISBN
- 9782070106868