Recueil de poèmes (dont les premiers sont de 1888 et les derniers de 1897) où la nature si chère à Francis Jammes se mêle à ses épanchements religieux. Une belle rêverie : précise, aiguë, enracinée, transcendante.
Préface de Jacques Borel.
J’ÉTAIS GAI… (P.92)
J’étais gai et l’église était calme au soleil,
près des jardins où sous la vigne il y a des roses,
près de la route où les oies et les canards causent,
les belles oies qui sont blanches comme du sel.
Sainte-Suzanne est le nom du petit village :
c’est un nom doux ainsi qu’un vieux nom de grand-mère.
L’auberge est pleine de fumée et de gros verres.
Les vieilles femmes n’y ont pas de babillage.
Il y a au soleil des chemins très obscurs,
pleins de feuillages frais, et qui n’ont pas de fin.
On s’y donnerait des baisers longs, doux et durs,
par les après-midi des dimanches beaux et simples.
Je pense à tout cela. Alors une tristesse
me vient d’avoir laissé la femme que j’aimais.
J’avais vu autrement, alors, le mois de mai,
car mon cœur est fait pour aimer, aimer sans cesse.
Je sens que je suis fait pour un amour très pur
comme le soleil blanc qui glisse au bas du mur.
Et j’ai dans mon cœur des amours froids comme ceux
quand je passais ma main à travers mes cheveux.
Le soleil pur, le nom doux du petit village,
les belles oies qui sont blanches comme le sel,
se mêlent à mon amour d’autrefois, pareil
aux chemins obscurs et longs de Sainte-Suzanne.
Un univers comme sans couture entre le dedans et l'en-dehors, où le passé le plus amorti affleure sans cesse le présent le plus vivace, le plus localisé, le tisse, s'y insère, à peine s'aperçoit-on qu'on a dérivé, les jeunes filles d'autrefois y croisent le notaire ou le petit cordonnier, ici, aujourd'hui, dans ce petit canton du monde que, jusqu'au bout, habitera le poète et que ne quitteront pas non plus ses rêves. Précisément localisée, la nature elle-même, campagne, bourgs, villages du Sud-Ouest pyrénéen, le gave y coule, ces lieux, ces routes sont nommés, aux confins du pays basque, d'Orthez à Hasparren, entre Béarn et Espagne, et des pointes parfois y sont poussées jusqu'à Lourdes ou à Laruns, ou bien, en rêverie, débordent le mur des montagnes, se coulent jusqu'à la vallée d'Alméria, passent l'Océan et glissent au loin vers "les îles", sans que jamais pourtant se rompe le fil qui lie le coffre familier, luisant dans l'ombre, à celui du planteur ou de Robinson, le portrait au mur du vieux salon, dans la maison d'enfance, à cet autre intérieur, en Hollande, ou à ces quais, à ces vaisseaux, - sans que jamais non plus Jammes, "poète rustique", il le proclame, il "fume sa pipe en bois avec un bout d'ambre" et ses chiens, nommés eux aussi, le suivent à la chasse, puisse apparaître comme un poète paysan ou, moins encore, un écrivain régionaliste.» Jacques Borel
Fiche technique
- Reliure
- Broché
- Parution
- 1971
- Nombre de pages
- 264
- Hauteur
- 18
- Largeur
- 11
- Poids
- 220
- ISBN
- 9782070317950