Un formidable système répressif

   PRESENT 28 mai 2022, Guy Denaere : Entretien avec Grégoire Finidori, conseiller honoraire à la Cour de cassation. Grégoire Finidori publie une passionnante étude des juridictions d’exception établies par De Gaulle pour briser les défenseurs de l’Algérie française. Il remet ces juridictions dans leur contexte politique, analyse leur fonctionnement, et rend aux procès leur épaisseur humaine. Guerre d’Algérie : la répression judiciaire à plein régime !

Extrait : — On rencontre dans votre livre – qu’ils soient militaires, civils ou magistrats – des pleutres soumis au pouvoir et des héros, fidèles à l’Algérie française. Parmi ces derniers, quelle est la figure la plus marquante à être passée devant l’un des tribunaux gaullistes ?

— Dans toute période troublée on rencontre des comportements très contrastés ; certains peuvent se laisser aller à des agissements médiocres ou bas tandis que d’autres observent une prudente réserve et quelques-uns sacrifient leur vie ou leur carrière, comme le général de Larminat qui préféra se suicider plutôt que de présider la Cour militaire de justice, ou ces officiers qui refusèrent de se prêter à des actions qui leur répugnaient. Parmi les accusés qui comparurent devant ces juridictions et dont la plupart firent preuve de courage et de dignité, voire de panache, les figures marquantes furent nom-breuses sans qu’on puisse établir une hiérarchie. La figure la plus connue reste celle du commandant Denoix de Saint Marc dont la déclaration devant le Haut Tribunal fit forte impression à un moment où le vent n’était guère favorable à ceux qui venaient d’échouer dans leur entreprise. Mais dans les jours suivants comparurent plusieurs autres soldats de légende qui sont malheureusement moins connus mais dont j’ai voulu faire revivre le souvenir au chapitre V. On peut aussi retenir le général Challe qui ne se résolut à prendre la tête du putsch qu’au terme d’un « chemin de croix » ; Zeller, homme de devoir, qu’on vit complètement bouleversé lors de son procès ; Jouhaud, passionnément attaché à l’Algérie, sa terre natale, où il aurait souhaité succomber ; Salan qui resta fidèle à la parole donnée aux Algérois, au moment de quitter son commandement en décembre 1958, d’être à leurs côtés si le malheur s’abattait sur eux ; Jacques Prévost qui, lors du procès du Petit-Clamart et après les réquisitions de l’avocat général qui l’avait épargné, demanda à la Cour de le condamner à mort plutôt que Buisines contre qui la mort avait été requise ; et la Cour l’exauça. Et bien sûr Bastien-Thiry, dont la mort tragique en pleine jeunesse et la personnalité d’exception provoquent une sorte de fascination à laquelle de Gaulle, lui-même, n’aurait pas échappé au point d’affirmer, selon Alain Peyrefitte, qu’il ferait « un bon martyr ».