Les fossoyeurs - Révélations sur le système qui maltraite nos aînés

   L'HOMME NOUVEAU, Jean-Michel Beaussant, 26 février 2022 : 

    On feint à nouveau la découverte et l’indignation après la publication de l’enquête choc – Les Fossoyeurs, chez Fayard – de Victor Castanet sur la maltraitance en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Mais, en 2017, Carole Gauvrit, de la Fédération nationale des Associations d’aides-soignantes, évoquait déjà une maltraitance institutionnelle à cause du manque de personnel. Et en 2018, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dénonçait « la ghettoïsation » inhumaine de nos aînés dans un rapport sur « Les enjeux éthiques du vieillissement ». En s’en prenant au leader européen des maisons de retraite (Orpea : 1 156 établissements dans 23 pays), Victor Castanet ne fait que souligner comment la concentration du capital et la recherche de la rentabilité ajoutent, hélas, à la grande misère intrinsèque de cette « institutionnalisation forcée » que l’on n’a pas su suffisamment humaniser, civiliser. Il y décrit notamment un système où les soins d’hygiène, la prise en charge médicale, voire les repas des résidents sont « rationnés ».

   D’où les témoignages innombrables des familles qui viennent alimenter cette enquête, même si tous les établissements ne correspondent pas, heureusement, à cette monstrueuse froideur gestionnaire. Certes, tous les directeurs d’Ehpad ne sont pas des technocrates inhumains mais comment ne pas faire le parallèle avec la dérive administrative de notre système hospitalier au détriment de sa finalité sanitaire ? leur fin, c’est l’argent…

   Le contraste entre les bénéfices générés par les gestionnaires privés de ces maisons de retraite et la situation d’indigence structurelle de ces dernières est d’autant plus criant : il accuse le glissement de ces établissements de service à des entreprises cotées en bourse et dont la finalité est devenue l’argent. « Le grand âge et la dépendance sont devenus un marché, le terrain de chasse de fonds d’investissements très actifs qui favorisent l’émergence de grands groupes privés comme Orpea ou Korian, cotés en Bourse…

   Or la vieillesse, la fin de vie et la mort, comme le début de vie, la féminité et la maternité, ne concernent pas que la médecine et la santé (gérontologique ou « reproductive », comme ils disent maintenant) : « Nos sociétés, en confiant finalement la vieillesse et la fin de la vie à la médecine, ont confiné des personnes en raison de leur âge dans des lieux de vie souvent violents et parfois même maltraitants. Elles ont exclu ces questions du champ de la responsabilité sociale et individuelle », indiquait justement le CCNE. C’est un « supplément d’âme » surtout, selon le mot inépuisable de Bergson qu’il eût fallu pour accompagner ces « progrès » de la médecine et de l’espérance de vie.